Un jour de bon matin j’ai tiré une balle, elle est partie pour toujours. Sept heures, le bras tendu, le flingue dans la main et l’autre poing serré. Mes yeux grands ouverts.
Un jour de bon matin j’ai tiré sur une bouteille. Les jours passés je récupérais les canettes de bière vides que buvait mon père. C’est lui qui me l’avait offert pour mon septième anniversaire : un uzi en plastique. En plastique ! J’en n’ai rien à foutre moi de ce jouet, je ne peux même pas écraser une mouche avec ce truc. Je sais où il les cache, c’est une vraie armurerie dans l’armoire du garage : fal, glock, uzi, m16… et ils ne sont pas en plastique.
La bouteille a explosé, il y avait du verre partout et j’en ai même reçu un morceau dans la jambe. Mais ça ne m’a pas fait mal, je saigne mais je m’en fous je n’ai pas mal. J’en n’ai pas raté une : une balle une canette et les bouts de verre s’entassent au fond du jardin.
Un jour de bon matin j’ai tiré sur le coq. Il a crié comme une fille, il ne pouvait plus bouger, je l’ai eu au bon endroit sans doute. Les plumes volaient, ses cris s’évaporaient, mais c’était trop rapide, alors j’ai rechargé le fusil et je l’ai plombé une seconde fois. Moi aussi je peux bien en profiter.
Cinq cartouches pour qu’il la ferme, peut-être moins je ne sais pas, mais en tout cas il m’a fallu cinq cartouches pour que ça m’amuse assez.
Ça ne me fait rien, c’est vrai c’est juste un coq je ne vois pas pourquoi je ressentirais quelque chose. Même si son sang gicle un peu partout, c’est dégueulasse c’est sûr, mais c’est juste un coq. Je veux dire on ne va pas pleurer pour ça.
Un jour de bon matin j’ai tiré sur une fille. Elle a crié comme le coq, mais c’était quand même pire, c’était comme si ses hurlements me piquaient les oreilles. Alors j’en ai tiré une deuxième dans ses oreilles à elle, mais rien à faire ça piquait toujours les miennes. A croire que c’est sa bouche que j’aurais dû plomber. Mais je ne peux plus mes mains tremblent, l’arme est lourde, et même mes yeux se mouillent. Au début c’était normal, enfin je veux dire ça me faisait rien, puis ces oreilles qui me piquent jusqu’à faire pleurer mes yeux, et ces yeux qui coulent jusqu’à faire trembler mes mains.
Je me dis juste qu’une fille ce n’est pas vraiment comme une bouteille, ça ne crie pas vraiment comme un coq.
Un jour de bon matin elle s’était moquée de moi. Peu importe pour quelle raison ça ne vous regarde pas, et puis vous vous moqueriez aussi. Elle se foutait de ma gueule et ça faisait plus mal qu’une balle, et moi je ne supportais pas, elle devait avoir mal aussi et puis c’est tout.
Un jour de bon matin j’ai tiré une balle sur cette fille, c’était la même balle que sur ce coq, la même que sur ces bouteilles.
Un jour de bon matin j’ai juste tiré une balle, elle est partie loin, trop loin, et je ne sais pas si elle s’arrêtera, j’ai seulement huit ans, on a encore du chemin à faire.
Petits, quand on nous demandait ce que faisait dans la vie notre grand-père nous pouvions répondre, non sans frimer un peu, qu’il avait présenté la météo à la télé. Bien qu’en réalité on ne se souvient pas réellement l’avoir déjà vu à l’œuvre, pensant même que son métier avait toujours été « la retraite ». Cependant on nous l’avait bien dit, Pépé avait travaillé à la météo et il était même passé à la télé. La télé, l’objet roi et troisième voix de la maison, le compagnon de tous les repas dont il était bien difficile de prendre le contrôle sur les journaux de 13h et 20h, sur le tour de France ou encore sur les émissions de Jacques Martin ou Michel Drucker. Mais nous, les petit-enfants, nous avions les ruses pour lui détourner ses programmes, et lui sans doute le cœur trop tendre à notre égard pour généralement nous laisser gagner à la fin.
Je suis un homme de soixante cinq ans, ma vie aurait été simple mais voilà, je suis une femme. Je ne suis pas sûre de l’avoir toujours été, je veux dire je ne suis pas sûre d’être née femme, seulement je le suis devenue, car c’était là en moi tel un cancer qui n’attendait qu’à se développer. Et il s’est développé, petit à petit, au fur et à mesure de ma vie. Et aujourd’hui je suis une femme. Pardon maman, pardon papa, vous n’êtes pas là pour le voir, mais je sais à quel point vous me haïriez aujourd’hui. Car même si je n’ai jamais rien fait ni dit qui aurait pu laisser imaginer à qui que ce soit que dans mon corps sommeille une telle ambiguïté, je le suis un point c’est tout, et il m’est impossible de le nier désormais. Pourtant je me rappelle bien avoir joué au soldat, pourtant je me rappelle bien m’être extasiée devant ma première voiture, je me rappelle bien avoir fait des remarques machos, avoir regardé sous les jupes des filles et plus tard même en soulever pour de bon. Je me rappelle de tout ça, je me rappelle avoir été un homme. Mais ça me parait si loin, comme si j’avais vécu une vie avant. Mais non j’en ai bien eu qu’une seule comme tout le monde, car je serais incapable de dire à quel moment j’ai cessé d’être un homme. Un jour je m’étais juré de ne plus jamais y penser, je m’étais dit « Raymond tu as des couilles tu es homme un point c’est tout ! ». J’avais décidé de tourner le dos à ces conneries, parce que tout simplement je ne voulais pas, je ne croyais pas que c’était possible, je croyais être un peu fou à m’attacher à une identité qui ne me ressemblait pas. Alors je me tournais le dos, je cherchais un autre chemin possible, celui de la normalité peut-être, celui qui m’éloignerait de tout ça. Mais j’avais beau regarder chaque direction je tournais en rond, chacune me ramenait là, devant ma glace le matin, un fond de barbe, je me donnais des claques. Maudit miroir je ne pouvais plus te voir, je t’ai brisé plus d’une fois, mais qu’importe je retrouvais toujours mon reflet quelque part, dans une vitrine, dans un caniveau, ou bien dans la Seine. Je me voyais, c’était bien moi.
Avant de battre ma femme je buvais. J’avais fini par arrêter parce qu’on n’avait plus les moyens, car tout ce qu’elle gagnait en faisant ses ménages je m’empressais de le dépenser en bouteilles d’alcools bas de gamme, en compagnie desquelles je pouvais cracher sur le monde en toute liberté. Je suis au chômage depuis quatorze ans, tous les chômeurs ne boivent pas mais moi oui. Je n’avais ni de collègues sur lesquels jaser, ni de patron à détester, j’avais juste mes bouteilles et ma femme qui m’aimait de tout son cœur et espérait à tout prix que je trouve enfin un boulot pour qu’on puisse élever un môme. Si elle en avait voulu deux comme tout le monde ça aurait simplifié les choses. J’aurais pu continuer à ne pas travailler, les allocs se seraient occupées du reste. Moi je ne voulais pas d’enfant de toute manière. Alors je n’ai pas cherché de travail et j’ai arrêté de boire ; puis j’ai commencé à frapper ma femme. La première fois juste une gifle, parce qu’elle m’avait traité de fainéant, et comme c’est la vérité, et que ce n’est pas la société qui est responsable de ma situation comme je le dis toujours quand je suis saoul ; et bien je l’ai giflée. J’étais à jeun, je savais qu’elle avait raison, que je suis un fainéant, mais je ne voulais pas le savoir, je ne voulais pas qu’on me le dise, je voulais que le monde continue de s’apitoyer sur mon sort. Alors c’est parti, il n’y avait pas d’autre réponse envisageable. Puis elle s’est excusée.
J’ai dix ans, je sais que ce n’est pas vrai mais j’ai dix ans. Ce matin je me suis réveillé les cheveux en pétard, la maîtresse avait envahi mes rêves qui s’étaient alors transformés en cauchemars. J’étais en retard pour aller à l’école car maman avait oublié de me réveiller. Hier, je n’ai pas fait mes devoirs parce que les copains sont passés me chercher pour aller jouer au foot. Je suis rentré après l’heure autorisée, alors papa m’a grondé et j’ai dû aller me coucher sans même avoir le droit de manger. Je vais encore me faire punir. Tant pis ! Je ferai un truc vite fait dans le bus, pour faire croire quand même que j’ai un peu travaillé, parce que ça fait déjà trois fois ce mois-ci que mon chien a mangé mon cahier.
À vu d’oeil cette cellule faisait à peu près deux mètres de large sur deux mètres de long sur deux mètres de haut. Compressé, j’étais compressé. Paraîtrait que je l’aurais mérité. Criminel de haut niveau, qu’avais-je à dire pour ma défense ? Que je regrettais, que c’étaient des accidents, que je m’excusais, que j’aurais pu éviter tous ces meurtres, que pour les familles au moins je faisais preuve de compassion ? N’y comptez pas. Ces paroles d’avocat n’ont pas été les miennes. Je ne regrette rien, ce n’étaient pas des accidents, je ne m’excuserai pas car si je les ai tué c’est simplement qu’ils étaient là devant moi et que je devais passer, alors c’est tant pis pour eux, tant pis pour leur famille. Désolé mesdames et messieurs mais je ne me repentirai pas, car je crois au fond que si je faisais ce métier c’était bien pour qu’un jour on m’attrape, que tout le monde voit mon visage, voit à quel point je vous ressemble, que tout le monde se dise enfin « ça y est on l’a eu cet enfoiré ! », que tout le monde sache que tout ça c’était moi. Parce que je n’ai rien caché, même ce dont ils ne se doutaient pas je l’ai avoué, parce que de toute façon j’aurais fini ma vie au trou, dans ce cube rouge, cube par sa forme, rouge car de haute sécurité. Je suis un dealer, je suis un braqueur, je suis un assassin, un tueur à gage, sans le prévoir je fus même une fois un violeur, dans vos bouches je suis une pourriture, un salaud, une ordure, de si petites insultes parce que vous ne trouvez pas vos mots, parce que je n’ai pas de nom, je n’ai pas de raison d’exister. Mais sachez juste que je ne suis pas moins que vous.
Il était une fois une petite fille de village, la plus jolie qu’on eut su voir : sa mère en était folle, et sa mère-grand plus folle encore. Cette bonne femme lui fit faire un petit chaperon rouge, qui lui seyait si bien, que partout on l’appelait le Petit Chaperon rouge.
L’émission qui fera péter l’audimat sur Arte sera présentée par un pâle sosie de Pascal Sevran, et passera à une heure de petite écoute (aux alentours de 1h30 du matin), parce qu’il n’y aura pas grande concurrence sur les autres chaînes. En revanche, bien que présenté par un sosie de Pascal Sevran, ce jeu n’aura rien à voir avec la chanson française, la seule raison pour laquelle l’animateur aura de faux airs de ce regretté Pascal est parce qu’il fera bien son boulot.