À vu d’oeil cette cellule faisait à peu près deux mètres de large sur deux mètres de long sur deux mètres de haut. Compressé, j’étais compressé. Paraîtrait que je l’aurais mérité. Criminel de haut niveau, qu’avais-je à dire pour ma défense ? Que je regrettais, que c’étaient des accidents, que je m’excusais, que j’aurais pu éviter tous ces meurtres, que pour les familles au moins je faisais preuve de compassion ? N’y comptez pas. Ces paroles d’avocat n’ont pas été les miennes. Je ne regrette rien, ce n’étaient pas des accidents, je ne m’excuserai pas car si je les ai tué c’est simplement qu’ils étaient là devant moi et que je devais passer, alors c’est tant pis pour eux, tant pis pour leur famille. Désolé mesdames et messieurs mais je ne me repentirai pas, car je crois au fond que si je faisais ce métier c’était bien pour qu’un jour on m’attrape, que tout le monde voit mon visage, voit à quel point je vous ressemble, que tout le monde se dise enfin « ça y est on l’a eu cet enfoiré ! », que tout le monde sache que tout ça c’était moi. Parce que je n’ai rien caché, même ce dont ils ne se doutaient pas je l’ai avoué, parce que de toute façon j’aurais fini ma vie au trou, dans ce cube rouge, cube par sa forme, rouge car de haute sécurité. Je suis un dealer, je suis un braqueur, je suis un assassin, un tueur à gage, sans le prévoir je fus même une fois un violeur, dans vos bouches je suis une pourriture, un salaud, une ordure, de si petites insultes parce que vous ne trouvez pas vos mots, parce que je n’ai pas de nom, je n’ai pas de raison d’exister. Mais sachez juste que je ne suis pas moins que vous.
J’ai reçu sa première lettre le lendemain de ma condamnation, mon procès a duré huit ans et pourtant elle a attendu le verdict pour m’écrire. Elle se dit anonyme, ne veut pas se dévoiler, mais m’admire, connaît ma biographie dans les moindres détails, dit que j’ai fait de ma vie une oeuvre. Non madame j’ai simplement fait de ma vie ce que je voulais sans me soucier de celle des autres ni de ce qui était bon ou pas. J’ai vécu sans limite et brisé toutes celles qui existaient, sachant parfaitement que ça ne durerait pas et me retrouverais vite entre ces quatre murs. J’ai pris plaisir à imaginer que c’était une femme, que c’était la dernière aperçue lorsque j’étais encore libre. La tête appuyée sur ce coin de trottoir qui portera peut-être un jour mon nom, c’était la fin, ils m’avaient eu cette fois. Mais ce qu’ils n’avaient pas eu c’était le cran de m’exploser la tronche sur ce trottoir, alors j’ai juste eu le temps de la voir passer, enfin de voir courir cette paire d’escarpins vernis affolée. Puis je fus pris, prisonnier, enfermé, condamné… Elle l’image de ma liberté, la femme aux escarpins vernis, le temps révolu, mais pas celui des cerises, non, celui du temps qui ne courait pas plus vite que moi. Je ne voyais pas passer les saisons, je ne voyais pas tourner la terre, un jour à Paris le lendemain à Tokyo, un jour dans une cave, un jour en palace, un jour bâillonné, un jour baîllonneur. La première lettre disait simplement qu’elle me connaissait, je compris tout de suite qu’il s’agissait d’une folle, d’une de ces hystériques qui fantasment sur les grands bandits ; parce que moi je ne connaissais personne, et j’avais fait en sorte que personne ne me connaisse jusqu’à ce que ma vie apparaisse dans tous les journaux. Ils m’ont bien fait rire ces pseudo-journalistes avec leurs articles sociologiques cherchant dans mon passé une quelconque cause à mes forfaits, une raison de mon comportement, à croire qu’ils me cherchaient des excuses. Mais non, je n’ai pas eu d’enfance difficile, car cela évidemment aurait tout expliqué. Elle aussi cherchait le pourquoi du comment. Elle pensait peut-être pouvoir entrer dans ma vie simplement parce que je me retrouvais enfermé.
J’ai longtemps hésité à lui répondre, dans un premier temps je n’étais pas si mal seul dans mon cube rouge. Mais c’est sûr au bout de quatre ans l’ennui commence à m’envahir, alors je ressors ces vieilles lettres, elle avait cessé d’en envoyer au bout de six mois, sans doute avait elle trouvé un autre mâle hors la loi assez viril pour affoler ses pensées malsaines. Je ne savais pas trop quoi lui raconter. La femme aux escarpins vernis c’est tout ce que je sais d’elle, du moins ce que j’imagine savoir. Je communique avec une personne que je réinvente totalement. Car peut-être qu’il s’agit en réalité d’un homme, d’un enfant, d’un vieux, d’un fou, d’un prêtre qui tente de me remettre dans le droit chemin, je ne sais pas. Pour moi c’est la femme aux escarpins vernis, c’est bien plus romantique, et l’imagination est la seule chose qu’il me reste ici alors cela restera ainsi. Elle ne se raconte jamais, simplement elle désire tout savoir, qui je suis, d’où je viens, puis viennent les pourquoi : pourquoi ci, pourquoi ça, et pourquoi pas, tout le temps pourquoi. Je ne lui dirai rien, car moi-même je ne le sais pas, c’est simplement le choix que j’ai pris, mon chemin à moi. Je n’aime pas regarder derrière, je ne veux pas y trouver de cause, ce n’est la faute de personne sinon la mienne. C’est vrai qu’un été j’ai pris plaisir à torturer une anémone de mer attachée fermement à un rocher, j’avais dix ans à peine, le moindre psy y verrait là un signe, une piste à approfondir. Seulement voilà j’ai aussi écrasé des fourmis, éclaté des mouches contre la vitre de la cuisine, j’ai arraché les cheveux des poupées de ma soeur, j’ai tué des centaines de droïdes carnivores dans un jeu vidéo… Les enfants sont des criminels en puissance.
La femme aux escarpins vernis est devenue petit à petit une nécessité dans ma vie. Je ne lui racontais pourtant pas grand-chose, de simples faits de prisonnier normal. Je lui ai décrit mon cube dans les moindres détails, ajoutant que je n’y avais trouvé aucune faille pour une éventuelle évasion. Je lui ai noté la composition de chacun de mes repas, raconté mes séances de sport, mes promenades, mes ateliers, ma mise à l’écart sans arrêt des autres détenus, car je suis un risque perpétuel. Je ne me lasse pas le soir d’écrire ce que j’ai fait de ma journée. Mes lettres deviennent très vite ennuyeuses et semblables les unes aux autres. Si bien que ses réponses se font de plus en plus rares, et aujourd’hui cela fait un an et demi qu’elle m’a mis de côté. Sans doute n’avait elle pas trouvé en moi la folie qu’elle attendait. C’est vrai que j’aurais pu lui raconter les détails de mes braquages plutôt que ceux de ma cellule, lui décrire les visages de mes victimes, la peur dans leurs yeux puis le sang qui éclabousse, les cris qui me cassent les oreilles alors d’autres balles qui partent pour les faire taire. Je n’ai rien raconté de tout ça, mon dossier est classé.
Aujourd’hui je suis le détenu le plus dangereux de France, je passe mes jours dans un cube rouge à l’écart des autres détenus, je prends mes plateaux repas dans la cantine de la prison à l’écart des autres détenus, je fais des séances de sport deux fois par semaine à l’écart des autres détenus, je fais une promenade de quinze minutes chaque après-midi à l’écart des autres détenus, je me lave dans les douches communes à l’écart des autres détenus, il faut toujours trois matons pour me surveiller, mes lettres pour la femme aux escarpins vernis sont relues j’imagine au moins cinq fois, parce qu’ils se demandent ce que je manigance, qu’ils essaient d’en déchiffrer un code par lequel je communiquerais mes vicieux plans à mes complices. Alors peut-être que la femme aux escarpins vernis est en fait elle aussi en prison. Ou bien, peut-être qu’ils me prennent simplement pour un fou, parce qu’il y a de quoi le devenir. Peut-être même que je le suis devenu, que ma cellule n’est pas un cube, que les escarpins ne sont pas vernis, peut-être que je ne suis pas dans le rouge, que je n’ai pas écrasé d’anémone contre la vitre de la cuisine, peut-être que je n’écris pas, que j’ai des escarpins rouges, que j’envoie des cubes à un prisonnier, que je suis enfermé dans le coin d’un trottoir, la tête appuyée sur une anémone rouge, peut-être que je suis rouge que j’écris des escarpins, que je vernis des coins de trottoirs.
Alors peut-être que mes mots n’ont plus de sens. Peut-être que vous m’avez vaincu.
Je suis un homme de soixante cinq ans, ma vie aurait été simple mais voilà, je suis une femme. Je ne suis pas sûre de l’avoir toujours été, je veux dire je ne suis pas sûre d’être née femme, seulement je le suis devenue, car c’était là en moi tel un cancer qui n’attendait qu’à se développer. Et il s’est développé, petit à petit, au fur et à mesure de ma vie. Et aujourd’hui je suis une femme. Pardon maman, pardon papa, vous n’êtes pas là pour le voir, mais je sais à quel point vous me haïriez aujourd’hui. Car même si je n’ai jamais rien fait ni dit qui aurait pu laisser imaginer à qui que ce soit que dans mon corps sommeille une telle ambiguïté, je le suis un point c’est tout, et il m’est impossible de le nier désormais. Pourtant je me rappelle bien avoir joué au soldat, pourtant je me rappelle bien m’être extasiée devant ma première voiture, je me rappelle bien avoir fait des remarques machos, avoir regardé sous les jupes des filles et plus tard même en soulever pour de bon. Je me rappelle de tout ça, je me rappelle avoir été un homme. Mais ça me parait si loin, comme si j’avais vécu une vie avant. Mais non j’en ai bien eu qu’une seule comme tout le monde, car je serais incapable de dire à quel moment j’ai cessé d’être un homme. Un jour je m’étais juré de ne plus jamais y penser, je m’étais dit « Raymond tu as des couilles tu es homme un point c’est tout ! ». J’avais décidé de tourner le dos à ces conneries, parce que tout simplement je ne voulais pas, je ne croyais pas que c’était possible, je croyais être un peu fou à m’attacher à une identité qui ne me ressemblait pas. Alors je me tournais le dos, je cherchais un autre chemin possible, celui de la normalité peut-être, celui qui m’éloignerait de tout ça. Mais j’avais beau regarder chaque direction je tournais en rond, chacune me ramenait là, devant ma glace le matin, un fond de barbe, je me donnais des claques. Maudit miroir je ne pouvais plus te voir, je t’ai brisé plus d’une fois, mais qu’importe je retrouvais toujours mon reflet quelque part, dans une vitrine, dans un caniveau, ou bien dans la Seine. Je me voyais, c’était bien moi.
Avant de battre ma femme je buvais. J’avais fini par arrêter parce qu’on n’avait plus les moyens, car tout ce qu’elle gagnait en faisant ses ménages je m’empressais de le dépenser en bouteilles d’alcools bas de gamme, en compagnie desquelles je pouvais cracher sur le monde en toute liberté. Je suis au chômage depuis quatorze ans, tous les chômeurs ne boivent pas mais moi oui. Je n’avais ni de collègues sur lesquels jaser, ni de patron à détester, j’avais juste mes bouteilles et ma femme qui m’aimait de tout son cœur et espérait à tout prix que je trouve enfin un boulot pour qu’on puisse élever un môme. Si elle en avait voulu deux comme tout le monde ça aurait simplifié les choses. J’aurais pu continuer à ne pas travailler, les allocs se seraient occupées du reste. Moi je ne voulais pas d’enfant de toute manière. Alors je n’ai pas cherché de travail et j’ai arrêté de boire ; puis j’ai commencé à frapper ma femme. La première fois juste une gifle, parce qu’elle m’avait traité de fainéant, et comme c’est la vérité, et que ce n’est pas la société qui est responsable de ma situation comme je le dis toujours quand je suis saoul ; et bien je l’ai giflée. J’étais à jeun, je savais qu’elle avait raison, que je suis un fainéant, mais je ne voulais pas le savoir, je ne voulais pas qu’on me le dise, je voulais que le monde continue de s’apitoyer sur mon sort. Alors c’est parti, il n’y avait pas d’autre réponse envisageable. Puis elle s’est excusée.
J’ai dix ans, je sais que ce n’est pas vrai mais j’ai dix ans. Ce matin je me suis réveillé les cheveux en pétard, la maîtresse avait envahi mes rêves qui s’étaient alors transformés en cauchemars. J’étais en retard pour aller à l’école car maman avait oublié de me réveiller. Hier, je n’ai pas fait mes devoirs parce que les copains sont passés me chercher pour aller jouer au foot. Je suis rentré après l’heure autorisée, alors papa m’a grondé et j’ai dû aller me coucher sans même avoir le droit de manger. Je vais encore me faire punir. Tant pis ! Je ferai un truc vite fait dans le bus, pour faire croire quand même que j’ai un peu travaillé, parce que ça fait déjà trois fois ce mois-ci que mon chien a mangé mon cahier.
Il était une fois une petite fille de village, la plus jolie qu’on eut su voir : sa mère en était folle, et sa mère-grand plus folle encore. Cette bonne femme lui fit faire un petit chaperon rouge, qui lui seyait si bien, que partout on l’appelait le Petit Chaperon rouge.
Un jour de bon matin j’ai tiré une balle, elle est partie pour toujours. Sept heures, le bras tendu, le flingue dans la main et l’autre poing serré. Mes yeux grands ouverts.
L’émission qui fera péter l’audimat sur Arte sera présentée par un pâle sosie de Pascal Sevran, et passera à une heure de petite écoute (aux alentours de 1h30 du matin), parce qu’il n’y aura pas grande concurrence sur les autres chaînes. En revanche, bien que présenté par un sosie de Pascal Sevran, ce jeu n’aura rien à voir avec la chanson française, la seule raison pour laquelle l’animateur aura de faux airs de ce regretté Pascal est parce qu’il fera bien son boulot.