Je suis un homme de soixante cinq ans, ma vie aurait été simple mais voilà, je suis une femme. Je ne suis pas sûre de l’avoir toujours été, je veux dire je ne suis pas sûre d’être née femme, seulement je le suis devenue, car c’était là en moi tel un cancer qui n’attendait qu’à se développer. Et il s’est développé, petit à petit, au fur et à mesure de ma vie. Et aujourd’hui je suis une femme. Pardon maman, pardon papa, vous n’êtes pas là pour le voir, mais je sais à quel point vous me haïriez aujourd’hui. Car même si je n’ai jamais rien fait ni dit qui aurait pu laisser imaginer à qui que ce soit que dans mon corps sommeille une telle ambiguïté, je le suis un point c’est tout, et il m’est impossible de le nier désormais. Pourtant je me rappelle bien avoir joué au soldat, pourtant je me rappelle bien m’être extasiée devant ma première voiture, je me rappelle bien avoir fait des remarques machos, avoir regardé sous les jupes des filles et plus tard même en soulever pour de bon. Je me rappelle de tout ça, je me rappelle avoir été un homme. Mais ça me parait si loin, comme si j’avais vécu une vie avant. Mais non j’en ai bien eu qu’une seule comme tout le monde, car je serais incapable de dire à quel moment j’ai cessé d’être un homme. Un jour je m’étais juré de ne plus jamais y penser, je m’étais dit « Raymond tu as des couilles tu es homme un point c’est tout ! ». J’avais décidé de tourner le dos à ces conneries, parce que tout simplement je ne voulais pas, je ne croyais pas que c’était possible, je croyais être un peu fou à m’attacher à une identité qui ne me ressemblait pas. Alors je me tournais le dos, je cherchais un autre chemin possible, celui de la normalité peut-être, celui qui m’éloignerait de tout ça. Mais j’avais beau regarder chaque direction je tournais en rond, chacune me ramenait là, devant ma glace le matin, un fond de barbe, je me donnais des claques. Maudit miroir je ne pouvais plus te voir, je t’ai brisé plus d’une fois, mais qu’importe je retrouvais toujours mon reflet quelque part, dans une vitrine, dans un caniveau, ou bien dans la Seine. Je me voyais, c’était bien moi.
Un jour je crois que j’en ai eu assez de crier, assez de m’éviter. Ma vie alors ne ressemblait pas à grand-chose, ou plutôt elle ressemblait à toutes les autres. Une femme deux enfants, un salaire satisfaisant, des vacances en Normandie, des Noëls en famille, et moi, au milieu de cette banalité qui pourtant les comblait tous, je me trouvais absente. Tout simplement parce que la personne qu’ils regardaient n’était pas moi. Ils pouvaient bien me parler, ils pouvaient bien m’aimer, pas un seul ne pouvait savoir à quel point j’étais faux, que lorsqu’ils me faisaient la bise le matin c’était du vent, parce que j’aurais voulu être leur mère mais qu’ils en avaient déjà une. Ils ne le voyaient pas, personne ne le voyait, j’aurais pu continuer ainsi jusqu’à la fin, mais j’en ai eu assez de feindre, assez de donner ce que les gens attendent sans jamais pouvoir exprimer ce que je suis vraiment. Je me demandais si tout ça n’était pas juste une question de courage ? Sans doute, et je n’en avais pas, du moins pas suffisamment. Alors j’ai tout quitté du jour au lendemain, sans un mot, sans laisser de trace. Je suis partie. C’était pourtant bien un comportement d’homme que j’appliquais là : lâche et égoïste. Je les entendais déjà me traiter de beau salaud, et ils n’avaient pas tort au détail près que je suis une belle salope. Je m’en rappelle encore précisément de ce moment, un vendredi soir, fin de semaine, un magnifique weekend en vu : pique nique en forêt, fête foraine le soir, les enfants qui sourient, les parents qui s’embrassent. J’étais là ce vendredi soir attendant ma rame de métro. Alors que beaucoup dans ma situation n’auraient pas hésité à se jeter sur les rails, moi j’ai simplement décidé de changer de quai et de partir dans l’autre sens. Puis après un métro, un train, puis un autre, puis un autre. J’étais partie, j’avais disparu d’un coup d’inconscience et si je le regrette tout de même un peu il m’est impossible de faire demi-tour maintenant. Ce vendredi soir j’avais atterri là dans ce trou, je ne sais pas trop où en France, dans cette chambre d’hôtel où j’y passe encore mes nuits depuis. J’avais élu domicile ici, après avoir trouvé un emploi convenable qui me suffisait à payer les nuits et autres minimums de vie. Je n’ai plus bougé d’ici, soit de peur d’être recherchée, soit d’envie d’être retrouvée. Toujours est-il que depuis ce vendredi soir je suis restée seule et cela ne changeait pas tellement d’avant. Rien ne me manque vraiment.
Depuis j’ai appris je crois à accepter ma féminité, et même si je n’ai jamais ressenti le besoin d’être à l’extérieur ce que je suis à l’intérieur par de ridicule costume, ou encore d’opération douteuse, je me ressens depuis totalement femme. Mon corps me convient tel qu’il est et mon âme également. Quant à ma sexualité, je n’en ai plus, car avec mon ambiguïté de femme dans un corps d’homme je n’ai jamais compris ce qui m’attirait. Après avoir essayé l’homosexualité dans un premier temps de ma vie, puis l’hétérosexualité dans un second, je peux dire aujourd’hui qu’aucun ne m’ait convenu. Peut-être alors que c’est mon exact opposé qu’il me faudrait : un corps de femme pour satisfaire le mien, avec une âme d’homme. Mais je ne suis plus à un âge auquel ma préoccupation principale est de trouver l’âme sœur, et je ne pense pas que ce serait souhaitable, j’ai mis trop de temps pour me trouver moi-même, il ne m’en reste pas assez pour profiter d’un autre. Malgré le fait que j’arrive aujourd’hui à être satisfaite de ce que je suis, je ne peux l’être de ce qu’a été ma vie. Trop de fois je me suis laissée porter et laissée aller à des choses qui ne me ressemblaient pas, simplement parce qu’il le fallait, parce que tous les gens normaux le faisaient, parce que je pensais être pareille, parce que mon père et ma mère m’avaient toujours éduquée ainsi, parce que c’est ce qu’on voyait dans les films, parce que c’est qu’on disait être bien. Je voulais être quelqu’un de bien, être quelqu’un de simple, je voulais passer inaperçue mais c’est ce qui m’a tuée à petit feu, car la normalité et moi on fait deux. Je ne suis pas pareille, mon dieu il m’en a fallu du temps pour le comprendre.
Référence : Seul, Rocé
Avant de battre ma femme je buvais. J’avais fini par arrêter parce qu’on n’avait plus les moyens, car tout ce qu’elle gagnait en faisant ses ménages je m’empressais de le dépenser en bouteilles d’alcools bas de gamme, en compagnie desquelles je pouvais cracher sur le monde en toute liberté. Je suis au chômage depuis quatorze ans, tous les chômeurs ne boivent pas mais moi oui. Je n’avais ni de collègues sur lesquels jaser, ni de patron à détester, j’avais juste mes bouteilles et ma femme qui m’aimait de tout son cœur et espérait à tout prix que je trouve enfin un boulot pour qu’on puisse élever un môme. Si elle en avait voulu deux comme tout le monde ça aurait simplifié les choses. J’aurais pu continuer à ne pas travailler, les allocs se seraient occupées du reste. Moi je ne voulais pas d’enfant de toute manière. Alors je n’ai pas cherché de travail et j’ai arrêté de boire ; puis j’ai commencé à frapper ma femme. La première fois juste une gifle, parce qu’elle m’avait traité de fainéant, et comme c’est la vérité, et que ce n’est pas la société qui est responsable de ma situation comme je le dis toujours quand je suis saoul ; et bien je l’ai giflée. J’étais à jeun, je savais qu’elle avait raison, que je suis un fainéant, mais je ne voulais pas le savoir, je ne voulais pas qu’on me le dise, je voulais que le monde continue de s’apitoyer sur mon sort. Alors c’est parti, il n’y avait pas d’autre réponse envisageable. Puis elle s’est excusée.
J’ai dix ans, je sais que ce n’est pas vrai mais j’ai dix ans. Ce matin je me suis réveillé les cheveux en pétard, la maîtresse avait envahi mes rêves qui s’étaient alors transformés en cauchemars. J’étais en retard pour aller à l’école car maman avait oublié de me réveiller. Hier, je n’ai pas fait mes devoirs parce que les copains sont passés me chercher pour aller jouer au foot. Je suis rentré après l’heure autorisée, alors papa m’a grondé et j’ai dû aller me coucher sans même avoir le droit de manger. Je vais encore me faire punir. Tant pis ! Je ferai un truc vite fait dans le bus, pour faire croire quand même que j’ai un peu travaillé, parce que ça fait déjà trois fois ce mois-ci que mon chien a mangé mon cahier.
À vu d’oeil cette cellule faisait à peu près deux mètres de large sur deux mètres de long sur deux mètres de haut. Compressé, j’étais compressé. Paraîtrait que je l’aurais mérité. Criminel de haut niveau, qu’avais-je à dire pour ma défense ? Que je regrettais, que c’étaient des accidents, que je m’excusais, que j’aurais pu éviter tous ces meurtres, que pour les familles au moins je faisais preuve de compassion ? N’y comptez pas. Ces paroles d’avocat n’ont pas été les miennes. Je ne regrette rien, ce n’étaient pas des accidents, je ne m’excuserai pas car si je les ai tué c’est simplement qu’ils étaient là devant moi et que je devais passer, alors c’est tant pis pour eux, tant pis pour leur famille. Désolé mesdames et messieurs mais je ne me repentirai pas, car je crois au fond que si je faisais ce métier c’était bien pour qu’un jour on m’attrape, que tout le monde voit mon visage, voit à quel point je vous ressemble, que tout le monde se dise enfin « ça y est on l’a eu cet enfoiré ! », que tout le monde sache que tout ça c’était moi. Parce que je n’ai rien caché, même ce dont ils ne se doutaient pas je l’ai avoué, parce que de toute façon j’aurais fini ma vie au trou, dans ce cube rouge, cube par sa forme, rouge car de haute sécurité. Je suis un dealer, je suis un braqueur, je suis un assassin, un tueur à gage, sans le prévoir je fus même une fois un violeur, dans vos bouches je suis une pourriture, un salaud, une ordure, de si petites insultes parce que vous ne trouvez pas vos mots, parce que je n’ai pas de nom, je n’ai pas de raison d’exister. Mais sachez juste que je ne suis pas moins que vous.
Il était une fois une petite fille de village, la plus jolie qu’on eut su voir : sa mère en était folle, et sa mère-grand plus folle encore. Cette bonne femme lui fit faire un petit chaperon rouge, qui lui seyait si bien, que partout on l’appelait le Petit Chaperon rouge.
Un jour de bon matin j’ai tiré une balle, elle est partie pour toujours. Sept heures, le bras tendu, le flingue dans la main et l’autre poing serré. Mes yeux grands ouverts.
L’émission qui fera péter l’audimat sur Arte sera présentée par un pâle sosie de Pascal Sevran, et passera à une heure de petite écoute (aux alentours de 1h30 du matin), parce qu’il n’y aura pas grande concurrence sur les autres chaînes. En revanche, bien que présenté par un sosie de Pascal Sevran, ce jeu n’aura rien à voir avec la chanson française, la seule raison pour laquelle l’animateur aura de faux airs de ce regretté Pascal est parce qu’il fera bien son boulot.